Les murs ont des oreilles

de Juan Ruiz de Alarcón, par Julia Gomez

L’adaptation de la pièce que la compagnie de l’Ultime joue actuellement, Les murs ont des oreilles (Las paredes oyen) donne un bon prétexte pour évoquer le théâtre du Siècle d’Or espagnol. En effet, son auteur, Juan Ruiz de Alarcón y Mendoza, fait partie de la liste de grands dramaturges de cette époque si riche culturellement dans l’histoire d’Espagne.

 

Même s’il est vrai que l’œuvre d’Alarcón reste méconnue du public français (si on la compare à celles de Lope de Vega ou, plus tard, de Calderón de la Barca), ces pièces ont fait l’objet de traduction en langue française. D’ailleurs, il existe une très belle édition à La Pléiade sur le Théâtre espagnol du XIIème où l’on retrouve cinq pièces de cet auteur (qui était né au Mexique en 1580 ou 1581, était avocat de métier et avait vécu très modestement entre le Mexique, l’Espagne et les Indes).

Justement, dans cette édition de la Pléiade on peut lire que « l’œuvre de Ruiz de Alarcón présente une originalité certaine dans le panorama si riche du théâtre du Siècle d’Or (…) Il y a un théâtre alarconien, comme il y a un théâtre lopesque et un théâtre caldéronien. » 

 

Bien plus tard, dans les années 70 du XXème, un autre dramaturge, cubain cette fois-ci, voudra traduire Les murs ont des oreilles au français. Il s’agit d’Eduardo Manet. Il aura beaucoup de mal à le faire, car il avait l’impression de « trahir » la belle versification d’Alarcón.

Voici les mots de Manet à ce sujet, ils sont savoureux :

 

Pourquoi une œuvre de Don Juan Ruiz de ALARCON ? J'avais pour tâche d'adapter pour un festival international une oeuvre du Siècle d'Or. Je me suis donc replongé dans une lecture abandonnée depuis mes années d'études. J'ai retrouvé tous les « grands » Cervantès, Tirso, Calderon et Lope... et soudain je suis tombé sur les textes de Don Juan Ruiz de Alarcon. J'y ai trouvé plus de fraîcheur que dans les oeuvres des auteurs vedettes de l'époque. Et puis, cible des poètes plus fortunés, bossu, pauvre, orgueilleux, et même vantard... bref, bourré de défauts et de qualités, la personnalité de Alarcon m'attirait par son humanité désarmante. Enfin, la touche finale : Ruiz de Alarcon était mexicain, né dans ce « nouveau monde » dont il me semble (ou est-ce le chauvinisme sud-américain qui parle ?) qu'il a l'esprit.

 

Méconnu, « colonisé » (presque toutes les anthologies le situent dans la littérature espagnole), Alarcon a eu, de surcroît, la malchance d'avoir été « adopté» par deux « grands », de l'autre côté des Pyrénées : Corneille et Goldoni ont chacun pris son oeuvre la plus réussie La Verdad Sospechosa comme point de départ pour des pièces comiques. J'ai même lu dans la préface des oeuvres comiques de Corneille que cette oeuvre appartenait à... Lope de Vega.

 

Las paredes oyen est une oeuvre mineure, mais charmante. Ses plus grandes qualités sont, malheureu­sement, une langue très brillante et une versification aisée et sonore. Ne trouvant pas de traductions valables en français, j'ai essayé de faire ce travail moi-même; mais me suis vite découragé : pour rendre la sonorité de l'espagnol de Alarcon, il eût fallu des dons que je ne possède pas. Comme, d'autre part, l'anecdote était aussi conventionnelle que celle de toutes les « comédies d'intrigue » de l'époque, j'ai décidé de ne pas trahir à moitié (en m'efforçant d'être respectueux) mais de trahir tout à fait en essayant de retrouver ce mouve­ment intérieur et ce sens du spectacle qui m'avaient plu chez lui.

 

J'ai fait participer Ruiz de Alarcon à l'action parce que le rôle de Don Juan de Mendoza (pauvre, laid et bossu) me paraissait lui revenir de droit et pouvoir s'enrichir avec le personnage de l'auteur. D'ailleurs le sans-gêne de Ruiz de Alarcon vis-à-vis de la « littérature » (il méprisa la vie littéraire et se consacra vers la fin de sa vie aux « affaires », considé­rant son oeuvre comme un simple « passe-temps ») encourage ce genre de liberté.

 

Il est vrai qu'il s'agissait d'une époque où le théâtre  ne se prenait pas trop au sérieux et ne s'en portait pas plus mal pour cela... (Eduardo Manet, avant-propos L’autre Don Juan)

 

L’autre Don Juan, vous l’avez compris, est une version libre de l’histoire de Ruiz de Alarcón. Cette réjouissante adaptation de Manet nous a inspiré pour monter, à notre tour, une version plus actualisée de ce classique du théâtre espagnol.

 

Nous nous sommes inspirés également du théâtre de tréteaux, très populaire, qui vient d’une époque où les troupes subsistaient en jouant partout et dans les conditions les plus incroyables (et précaires). Les comédiens jouaient avec peu d’accessoires, car pas beaucoup de budget, les bruitages se faisaient sur scène, en direct, les rôles féminins pouvaient être jouées par des hommes et vice-versa (en Espagne, à différence d’autres pays, les femmes « avaient la permission » de jouer sur scène…). Tout cela, est présent dans notre version de Les murs ont des oreilles.

 

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